Billet littéraire no 129
Les enfants du large, Éditions JCLattes, Paris, 2024, 213 p.
Il existe, d’une part, des écrivains ayant une imagination débordante qui peuvent écrire de leur chez soi en faisant peu d’exploration. D’autres écrivains le sont devenus à cause de leur vécu. Comme Virginia Tangvald, fille du célèbre aventurier Peter Tangvald, née sur un bateau et issue d’une famille dont les drames successifs feraient rêver tout écrivain en panne d’inspiration.
Son père ayant déjà eu plusieurs femmes, mortes de manière tragique et mystérieuse, la mère de Virginia décida, lors d’une escale à Porto Rico, de quitter son mari et le bateau. Elle téléphona à sa mère qui vivait à Toronto, lui demandant de lui payer les billets d’avion pour revenir chez elle avec son bébé de deux ans. Lorsque Peter comprit leur abandon, il était trop tard. Il continua de lui envoyer des lettres, la suppliant de revenir. En retour, elle voulait que Carmen, la demi-sœur de Virginia, vienne les rejoindre. Peter avait aussi un fils d’une autre épouse, Thomas, âgé de quinze ans.
Ils ne furent jamais réunis parce qu’un drame se produisit en mer et Thomas fut le seul survivant. Virginia a vécu avec sa mère et un jour elle réussit à reprendre contact avec Thomas. La suite du roman est le récit de leur rencontre et de la vie de son père et son grand-père qu’elle essaie de reconstituer en retournant sur les lieux où ils vécurent, en parlant aux gens qu’ils ont fréquenté.
Le départ de cette quête fut la rencontre tumultueuse avec son frère. L’auteure nous raconte les péripéties, les enquêtes et comment ces recherches auront une influence sur le cours de sa vie. Son écriture est envoûtante et nous emmène dans des zones parfois inconfortables et incompréhensibles pour le commun des mortels. Au fil des pages, notre affection pour Virginia grandit et aussi l’espoir de la voir s’en sortir mieux que tous les siens.
Voici une citation qui nous prouve tout le talent de cette jeune femme.
“Ma mère déchirait les lettres de mon père à mesure qu’elle les recevait. Les morceaux de papier jonchaient le sol, des ailes blanches et fragiles qu’on aurait arrachées à des papillons. Elle pleurait, recroquevillée sur elle-même, la tête baissée, le visage enfoui dans ses mains. Elle ressemblait à une fontaine triste avec ses longs cheveux bruns et brillants en cascade autour de ses épaules. Je savais que quelque chose se passait sans comprendre quoi. J’avais l’impression qu’elle se pétrifiait de chagrin. Mes petites mains frénétiques cherchaient sur son corps une brèche par laquelle je pourrais la dénouer. Je voulais la prendre dans mes bras, tenir son visage entre mes paumes mais elle ne m’entendait pas. Je finissais par m’allonger dans le placard, porte fermée. Je ne sais pas si c’était grâce au silence, à l’obscurité parfaite ou bien au manque d’oxygène mais je pouvais m’oublier quand j’étais là” p. 20
Imaginez comment l’identité de cette petite fille a dû se construire, avec une mère vivant seule avec elle mais sachant qu’elle avait un père, une demi-soeur, un demi-frère. En effet, nous allons voir quelle sorte d’adulte elle devient et les différents chemins qu’elle choisit d’emprunter pour la suite de sa vie.
Un jour, elle prend la fuite de son quotidien et se met en couple avec un chanteur au caractère imprévisible et instable. Elle va l’accompagner dans sa vie d’artiste et de bohème puis sans trop réfléchir, elle va fuir encore pour enquêter sur la vie de son père.
Virginia va rencontrer des amis, des personnes qui ont connu Peter, son frère et son père. Elle termine son roman en expliquant ses derniers choix de vie.
J’ai trouvé difficile de poser le livre pour faire autre chose, je lui souhaite de trouver le courage de faire d’autres projets artistiques ou d’écrire un autre livre car elle a un souffle créatif hors du commun.
Bonne lecture! Johanne Berger